Page:Mérimée - Carmen.djvu/53

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que c’est ? demandai-je. J’eus grand-peine à savoir ce qui s’était passé, car toutes les ouvrières me parlaient à la fois. Il paraît que la femme blessée s’était vantée d’avoir assez d’argent en poche pour acheter un âne au marché de Triana. — Tiens, dit Carmen, qui avait une langue, tu n’as donc pas assez d’un balai ? — L’autre, blessée du reproche, peut-être parce qu’elle se sentait véreuse sur l’article, lui répond qu’elle ne se connaissait pas en balais, n’ayant pas l’honneur d’être bohémienne ni filleule de Satan, mais que mademoiselle Carmencita ferait bientôt connaissance avec son âne, quand M. le corrégidor la mènerait à la promenade avec deux laquais par derrière pour l’émoucher. — Eh bien, moi, dit Carmen, je te ferai des abreuvoirs à mouches sur la joue, et je veux y peindre un damier[1]. — Là-dessus, vli-vlan ! elle commence, avec le couteau dont elle coupait le bout des cigares, à lui dessiner des croix de Saint-André sur la figure.

Le cas était clair ; je pris Carmen par le bras : — Ma sœur, lui dis-je poliment, il faut me suivre. — Elle me lança un regard comme si elle me reconnaissait ; mais

  1. Pintar un jabeque, peindre un chebec. Les chebecs espagnols ont, pour la plupart, leur bande peinte à carreaux rouges et blancs.