Page:Mérimée - Carmen.djvu/74

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le lieutenant me poursuivait, je lui mis la pointe au corps, et il s’enferra. Carmen alors éteignit la lampe, et dit dans sa langue à Dorothée de s’enfuir. Moi-même je me sauvai dans la rue, et me mis à courir sans savoir où. Il me semblait que quelqu’un me suivait. Quand je revins à moi, je trouvai que Carmen ne m’avait pas quitté. — Grand niais de canari ! me dit-elle, tu ne sais faire que des bêtises. Aussi bien, je te l’ai dit que je te porterais malheur. Allons, il y a remède à tout, quand on a pour bonne amie une Flamande de Rome[1]. Commence par mettre ce mouchoir sur ta tête, et jette-moi ce ceinturon. Attends-moi dans cette allée. Je reviens dans deux minutes. — Elle disparut, et me rapporta bientôt une mante rayée qu’elle était allée chercher je ne sais où. Elle me fit quitter mon uniforme, et mettre la mante par-dessus ma chemise. Ainsi accoutré, avec le mouchoir dont elle avait bandé la plaie que j’avais à la tête, je ressemblais assez à un paysan valencien, comme il y en à Séville, qui viennent vendre leur orgeat de chufas[2]. Puis elle me mena dans une mai-

  1. Flamenca de Roma. Terme d’argot qui désigne les bohémiennes. Roma ne veut pas dire ici la ville éternelle, mais la nation des Romi ou des gens mariés, nom que se donnent les bohémiens. Les premiers qu’on vit en Espagne venaient probablement des Pays-Bas, d’où est venu leur nom de Flamands.
  2. Racine bulbeuse dont on fait une boisson assez agréable.