Page:Mérimée - Carmen.djvu/81

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butin, et de le charger sur nos épaules, puis nous essayâmes de nous sauver au travers des rochers par les pentes les plus roides. Nous jetions nos ballots devant nous, et nous les suivions de notre mieux en glissant sur les talons. Pendant ce temps-là, l’ennemi nous canardait ; c’était la première fois que j’entendais siffler les balles, et cela ne me fit pas grand’chose. Quand on est en vue d’une femme, il n’y a pas de mérite à se moquer de la mort. Nous nous échappâmes, excepté le pauvre Remendado, qui reçut un coup de feu dans les reins. Je jetai mon paquet, et j’essayai de le prendre. — Imbécile ! me cria Garcia, qu’avons-nous affaire d’une charogne ? achève-le et ne perds pas les bas de coton. — Jette-le ! me criait Carmen. — La fatigue m’obligea de le déposer un moment à l’abri d’un rocher. Garcia s’avança, et lui lâcha son espingole dans la tête. — Bien habile qui le reconnaîtrait maintenant, dit-il en regardant sa figure que douze balles avaient mise en morceaux. — Voilà, monsieur, la belle vie que j’ai menée. Le soir, nous nous trouvâmes dans un hallier, épuisés de fatigue, n’ayant rien à manger et ruinés par la perte de nos mulets. Que fit cet infernal Garcia ? il tira un paquet de cartes de sa poche, et se mit à jouer avec le Dancaïre à la lueur d’un feu qu’ils allumèrent.