Page:Mérimée - Carmen.djvu/89

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main du maquila. — Pendant que nous parlions, le domestique entra et dit que le dîner était prêt. Alors l’Anglais se leva, me donna une piastre, et offrit son bras à Carmen, comme si elle ne pouvait pas marcher seule. Carmen, riant toujours, me dit : — Mon garçon, je ne puis t’inviter à dîner ; mais demain, dès que tu entendras le tambour pour la parade, viens ici avec des oranges. Tu trouveras une chambre mieux meublée que celle de la rue du Candilejo, et tu verras si je suis toujours ta Carmencita. Et puis nous parlerons des affaires d’Égypte. — Je ne répondis rien, et j’étais dans la rue que l’Anglais me criait : Apportez demain du maquila ! et j’entendais les éclats de rire de Carmen.

Je sortis ne sachant ce que je ferais, je ne dormis guère, et le matin je me trouvais si en colère contre cette traîtresse, que j’avais résolu de partir de Gibraltar sans la revoir ; mais, au premier roulement de tambour, tout mon courage m’abandonna : je pris ma natte d’oranges et je courus chez Carmen. Sa jalousie était entr’ouverte, et je vis son grand œil noir qui me guettait. Le domestique poudré m’introduisit aussitôt ; Carmen lui donna une commission, et dès que nous fûmes seuls, elle partit d’un de ses éclats de rire de crocodile, et se jeta à mon cou. Je ne l’avais jamais vue si