Page:Mérimée - Carmen.djvu/96

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crus que j’allais crever dans les broussailles comme un lièvre qui a reçu du plomb. Mon camarade me porta dans une grotte que nous connaissions, puis il alla chercher Carmen. Elle était à Grenade, et aussitôt elle accourut. Pendant quinze jours, elle ne me quitta pas d’un instant. Elle ne ferma pas l’œil ; elle me soigna avec une adresse et des attentions que jamais femme n’a eues pour l’homme le plus aimé. Dès que je pus me tenir sur mes jambes, elle me mena à Grenade dans le plus grand secret. Les bohémiennes trouvent partout des asiles sûrs, et je passai plus de six semaines dans une maison, à deux portes du corrégidor qui me cherchait. Plus d’une fois, regardant derrière un volet, je le vis passer. Enfin je me rétablis ; mais j’avais fait bien des réflexions sur mon lit de douleur, et je projetais de changer de vie. Je parlai à Carmen de quitter l’Espagne, et de chercher à vivre honnêtement dans le Nouveau-Monde. Elle se moqua de moi. — Nous ne sommes pas faits pour planter des choux, dit-elle ; notre destin, à nous c’est de vivre aux dépens des payllos. Tiens, j’ai arrangé une affaire avec Nathan ben-Joseph de Gibraltar. Il a des cotonnades qui n’attendent que toi pour passer. Il sait que tu es vivant. Il compte sur toi. Que diraient nos correspondants de Gibraltar, si tu