Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

brave, je vais partir demain pour l’Italie, et j’ai voulu te dire adieu, ainsi qu’à M. le curé. C’est pourquoi je vous ai priés de venir.

— Vous êtes bien pressé, dit Brandolaccio ; vous êtes acquitté d’hier et vous partez demain ?

— On a des affaires, dit gaiement la jeune femme. Messieurs, je vous ai apporté à souper ; mangez, et n’oubliez pas mon ami Brusco.

— Vous gâtez Brusco, mademoiselle Colomba, mais il est reconnaissant. Vous allez voir. Allons, Brusco, dit-il, étendant son fusil horizontalement, saute pour les Barricini ! Le chien demeura immobile, se léchant le museau et regardant son maître. — Saute pour les della Rebbia ! Et il sauta deux pieds plus haut qu’il n’était nécessaire.

— Écoutez, mes amis, dit Orso, vous faites un vilain métier ; et s’il ne vous arrive pas de terminer votre carrière sur cette place que nous voyons là-bas[1], le mieux qui vous puisse advenir, c’est de tomber dans un mâquis sous la balle d’un gendarme.

— Eh bien ! dit Castriconi, c’est une mort comme une autre, et qui vaut mieux que la fièvre qui vous tue dans un lit, au milieu des larmoiements plus ou moins sincères de vos héritiers. Quand on a, comme nous, l’habitude du grand air, il n’y a rien de tel que de mourir dans ses souliers, comme disent nos gens de village.

— Je voudrais, poursuivit Orso, vous voir quitter ce pays… et mener une vie plus tranquille. Par exemple, pourquoi n’iriez-vous pas vous établir en Sardaigne, ainsi qu’ont fait plusieurs de vos camarades ? Je pourrais vous en faciliter les moyens.

— En Sardaigne ! s’écria Brandolaccio. Islos Sardos ! que le diable les emporte avec leur patois. C’est trop mauvaise compagnie pour nous.

  1. La place où se font les exécutions à Bastia.