Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Attendons d’abord que vous ayez un neveu ; et puis vous lui apprendrez à jouer du stylet, si bon vous semble.

— Adieu les stylets, dit gaiement Colomba ; maintenant j’ai un éventail, pour vous en donner sur les doigts quand vous direz du mal de mon pays.

Causant ainsi, ils entrèrent dans la ferme, où ils trouvèrent vin, fraises et crème. Colomba aida la fermière à cueillir des fraises pendant que le colonel buvait de l’aleatico. Au détour d’une allée, Colomba aperçut un vieillard assis au soleil sur une chaise de paille, malade, comme il semblait ; car il avait les joues creuses, les yeux enfoncés ; il était d’une maigreur extrême, et son immobilité, sa pâleur, son regard fixe, le faisaient ressembler à un cadavre plutôt qu’à un être vivant. Pendant plusieurs minutes, Colomba le contempla avec tant de curiosité qu’elle attira l’attention de la fermière. — Ce pauvre vieillard, dit-elle, c’est un de vos compatriotes, car je connais bien à votre parler que vous êtes de la Corse, mademoiselle. Il a eu des malheurs dans son pays ; ses enfants sont morts d’une façon terrible. On dit, je vous demande pardon, mademoiselle, que vos compatriotes ne sont pas tendres dans leurs inimitiés. Pour lors, ce pauvre monsieur, resté seul, s’en est venu à Pise, chez une parente éloignée, qui est la propriétaire de cette ferme. Le brave homme est un peu timbré ; c’est le malheur et le chagrin… C’est gênant pour madame, qui reçoit beaucoup de monde ; elle l’a donc envoyé ici. Il est bien doux, pas gênant ; il ne dit pas trois paroles dans un jour. Par exemple, la tête a déménagé. Le médecin vient toutes les semaines, et il dit qu’il n’en a pas pour longtemps.

— Ah ! il est condamné ? dit Colomba. Dans sa position, c’est un bonheur d’en finir.

— Vous devriez, mademoiselle, lui parler un peu corse ; cela le ragaillardirait peut-être d’entendre le langage de son pays.