Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/167

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piochons toujours, nous piochons, et voilà qu’il paraît une main noire, qui semblait la main d’un mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je m’en vais à monsieur, et je lui dis : — Des morts, notre maître, qui sont sous l’olivier ! Faut appeler le curé. — Quels morts ? qu’il me dit. Il vient, et il n’a pas plutôt vu la main qu’il s’écrie : — Un antique ! un antique ! — Vous auriez cru qu’il avait trouvé un trésor. Et le voilà avec la pioche, avec les mains, qu’il se démène et qu’il faisait quasiment autant d’ouvrage que nous deux.

— Et enfin que trouvâtes-vous ?

— Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler, monsieur, toute en cuivre ; et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était une idole du temps des païens… du temps de Charlemagne, quoi !

— Je vois ce que c’est… Quelque bonne-vierge en bronze d’un couvent détruit.

— Une bonne-vierge ! ah bien oui !… Je l’aurais bien reconnue, si ç’avait été une bonne-vierge. C’est une idole, vous dis-je ; on le voit bien à son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs… On dirait qu’elle vous dévisage. On baisse les yeux, oui, en la regardant.

— Des yeux blancs ? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze. Ce sera peut-être quelque statue romaine.

— Romaine ! c’est cela. M. de Peyrehorade dit que c’est une romaine. Ah ! je vois bien que vous êtes un savant comme lui.

— Est-elle entière, bien conservée ?

— Oh ! monsieur, il ne lui manque rien. C’est encore plus beau et mieux fini que le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en plâtre peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me revient pas. Elle a l’air méchante… et elle l’est aussi.

— Méchante ! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite ?

— Pas à moi précisément, mais vous allez voir. Nous