Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/172

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résolu, et tendant vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si ma Vénus m’avait cassé cette jambe-là, je ne la regretterais pas.

— Bon Dieu ! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela ! Heureusement que l’homme va mieux… Et encore je ne peux pas prendre sur moi de regarder la statue qui fait des malheurs comme celui-là. Pauvre Jean Coll !

— Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d’un gros rire, blessé par Vénus, le maraud se plaint.

veneris nec præmia noris.

Qui n’a été blessé par Vénus ?

M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna de l’œil d’un air d’intelligence, et me regarda comme pour me demander : Et vous, Parisien, comprenez-vous ?

Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. J’étais fatigué, et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents bâillements qui m’échappaient. Madame de Peyrehorade s’en aperçut la première, et remarqua qu’il était temps d’aller dormir. Alors commencèrent de nouvelles excuses sur le mauvais gîte que j’allais avoir. Je ne serais pas comme à Paris. En province on est si mal ! Il fallait de l’indulgence pour les Roussillonnais. J’avais beau protester qu’après une course dans les montagnes une botte de paille me serait un coucher délicieux, on me priait toujours de pardonner à de pauvres campagnards s’ils ne me traitaient pas aussi bien qu’ils l’eussent désiré. Je montai enfin à la chambre qui m’était destinée, accompagné de M. de Peyrehorade. L’escalier, dont les marches supérieures étaient en bois, aboutissait au milieu d’un corridor, sur lequel donnaient plusieurs chambres.

— À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la future madame Alphonse. Votre chambre