Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/189

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pour Ille. Mais d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de mademoiselle de Puygarrig, qui lui servait de mère, femme très-âgée et fort dévote, ne devait point aller avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un torrent de larmes et des embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes pourtant, et, pendant la route, chacun s’évertua pour distraire la mariée et la faire rire ; mais ce fut en vain.

À Ille, le souper nous attendait, et quel souper ! Si la grosse joie du matin m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des plaisanteries dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le marié, qui avait disparu un instant avant de se mettre à table, était pâle et d’un sérieux de glace. Il buvait à chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de l’eau-de-vie. J’étais à côté de lui, et me crus obligé de l’avertir :

— Prenez garde ! on dit que le vin…

Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des convives.

Il me poussa le genou, et très bas il me dit :

— Quand on se lèvera de table… que je puisse vous dire deux mots.

Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je remarquai l’étrange altération de ses traits.

— Vous sentez-vous indisposé ? lui demandai-je.

— Non.

Et il se remit à boire.

Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant de onze ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistants un joli ruban blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent