Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/198

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parler, puis il dit : Allons ! le diable l’aura emporté aussi !

Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamant, lorsqu’il lui parla. Le domestique hésita pour répondre ; enfin il dit qu’il ne le croyait pas, qu’il n’y avait fait au reste aucune attention. — S’il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je croyais qu’il l’avait donnée à madame Alphonse.

En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur superstitieuse que la déposition de madame Alphonse avait répandue dans toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant, et je me gardai bien d’insister.

Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à Perpignan. Malgré son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut m’accompagner jusqu’à la porte de son jardin. Nous le traversâmes en silence, lui se traînant à peine, appuyé sur mon bras. Au moment de nous séparer, je jetai un dernier regard sur la Vénus. Je prévoyais bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les terreurs et les haines qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait se défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais pour entrer en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tête du côté où il me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et aussitôt fondit en larmes. Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un seul mot, je tombai dans la voiture.

Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit venu éclairer cette mystérieuse catastrophe.

M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son