Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/207

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L’université de Salamanque était alors dans toute sa gloire. Ses étudiants n’avaient jamais été plus nombreux, ses professeurs plus doctes ; mais aussi jamais les bourgeois n’avaient eu tant à souffrir des insolences de la jeunesse indisciplinable qui demeurait, ou plutôt régnait dans leur ville. Les sérénades, les charivaris, toute espèce de tapage nocturne, tel était leur train de vie ordinaire, dont la monotonie était de temps en temps diversifiée par des enlèvements de femmes ou de filles, par des vols ou des bastonnades. Don Juan, arrivé à Salamanque, passa quelques jours à remettre des lettres de recommandation aux amis de son père, à visiter ses professeurs, à parcourir les églises, et à se faire montrer les reliques qu’elles renfermaient. D’après la volonté de son père, il remit à un des professeurs une somme assez considérable pour être distribuée entre les étudiants pauvres. Cette libéralité eut le plus grand succès, et lui valut aussitôt de nombreux amis.

Don Juan avait un grand désir d’apprendre. Il se proposait bien d’écouter comme paroles d’Évangile tout ce qui sortirait de la bouche de ses professeurs ; et pour n’en rien perdre, il voulut se placer aussi près que possible de la chaire. Lorsqu’il entra dans la salle où devait se faire la leçon, il vit qu’une place était vide aussi près du professeur qu’il eût pu le désirer. Il s’y assit. Un étudiant sale, mal peigné, vêtu de haillons, comme il y en a tant dans les universités, détourna un instant les yeux de son livre pour les porter sur don Juan avec un air d’étonnement stupide. — Vous vous mettez à cette place, dit-il d’un ton presque effrayé ; ignorez-vous que c’est là que s’assied d’ordinaire don Garcia Navarro ?

Don Juan répondit qu’il avait toujours entendu dire que les places appartenaient au premier occupant, et que, trouvant celle-ci vide, il croyait pouvoir la prendre, sur-