Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/261

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— Au nom du ciel ! mon père, s’écria-t-il, pour qui priez-vous ici, et qui êtes-vous ?

— Nous prions pour le comte don Juan de Maraña, répondit le prêtre en le regardant fixement avec une expression de douleur. Nous prions pour son âme, qui est en péché mortel, et nous sommes des âmes que les messes et les prières de sa mère ont tirées des flammes du purgatoire. Nous payons au fils la dette de la mère ; mais cette messe, c’est la dernière qu’il nous est permis de dire pour l’âme du comte don Juan de Maraña.

En ce moment l’horloge de l’église sonna un coup : c’était l’heure fixée pour l’enlèvement de Teresa.

— Le temps est venu, s’écria une voix qui partait d’un angle obscur de l’église, le temps est venu ! est-il à nous ?

Don Juan tourna la tête et vit une apparition horrible. Don Garcia, pâle et sanglant, s’avançait avec le capitaine Gomare, dont les traits étaient encore agités d’horribles convulsions. Ils se dirigèrent tous deux vers la bière, et don Garcia, en jetant le couvercle à terre avec violence, répéta : — Est-il à nous ? En même temps un serpent gigantesque s’éleva derrière lui, et, le dépassant de plusieurs pieds, semblait prêt à s’élancer dans la bière… Don Juan s’écria : — Jésus ! et tomba évanoui sur le pavé.

La nuit était fort avancée lorsque la ronde qui passait aperçut un homme étendu sans mouvement à la porte d’une église. Les archers s’approchèrent, croyant que c’était le cadavre d’un homme assassiné. Ils reconnurent aussitôt le comte de Maraña, et ils essayèrent de le ranimer en lui jetant de l’eau fraîche au visage ; mais, voyant qu’il ne reprenait pas connaissance, ils le portèrent à sa maison. Les uns disaient qu’il était ivre, d’autres qu’il avait reçu quelque bastonnade d’un mari jaloux. Personne, ou du moins pas un homme honnête ne l’aimait à Séville, et chacun disait son mot. L’un bénissait le bâton qui l’avait si bien étourdi, l’autre demandait combien de bouteilles