Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sont tombées. Et il se lève et demande sa lance et son bon cheval ; et la perle s’est levée aussi toute tremblante, car elle a compris qu’il allait à un duel.

« Seigneur Guttiere, don Guttiere de Saldana, restez, je vous en prie, et jouez encore avec moi. — Je ne jouerai pas davantage aux échecs ; je veux jouer au jeu des lances à la fontaine d’Almami. » Et les pleurs d’Aurore ne purent l’arrêter ; car rien n’arrête un cavalier qui se rend à un duel. Alors la perle de Tolède a pris son manteau, et, montée sur sa mule, s’en est allée à la fontaine d’Almami.

Autour de la fontaine le gazon est rouge ; l’eau de la fontaine est rouge aussi : mais ce n’est point le sang d’un chrétien qui rougit le gazon, qui rougit l’eau de la fontaine. Le noir Tuzani est couché sur le dos ; la lance de don Guttiere s’est brisée dans sa poitrine ; tout son sang se perd peu à peu. Sa jument Berja le regarde en pleurant, car elle ne peut guérir la blessure de son maître.

La perle descend de sa mule : « Cavalier, ayez bon courage ; vous vivrez encore pour épouser une belle Moresque ; ma main sait guérir les blessures que fait mon chevalier. — O perle si blanche, ô perle si belle, arrache de mon sein ce tronçon de lance qui le déchire : le froid de l’acier me glace et me transit. » Elle s’est approchée sans défiance ; mais il a ranimé ses forces, et du tranchant de son sabre il balafre ce visage si beau.


Fin de la perle de Tolède.