Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/34

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— Non, certes, dit le préfet, ce n’est nullement ma pensée : je parle seulement de certaines coutumes de ce pays-ci, dont quelques-unes ne sont pas telles qu’un administrateur voudrait les voir. — Il appuya sur ce mot de coutumes, et prit l’expression la plus grave que sa figure comportait. Bientôt après, il se leva et sortit, emportant la promesse que miss Lydia irait voir sa femme à la préfecture.

Quand il fut parti : — Il fallait, dit miss Lydia, que j’allasse en Corse pour apprendre ce que c’est qu’un préfet. Celui-ci me paraît assez aimable.

— Pour moi, dit Orso, je n’en saurais dire autant, et je le trouve bien singulier avec son air emphatique et mystérieux.

Le colonel était plus qu’assoupi ; miss Lydia jeta un coup d’œil de son côté, et baissant la voix : — Et moi, je trouve, dit-elle, qu’il n’est pas si mystérieux que vous le prétendez, car je crois l’avoir compris.

— Vous êtes, assurément, bien perspicace, miss Nevil ; et, si vous voyez quelque esprit dans ce qu’il vient de dire, il faut assurément que vous l’y ayez mis.

— C’est une phrase du marquis de Mascarille, monsieur della Rebbia, je crois ; mais… voulez-vous que je vous donne une preuve de ma pénétration ? Je suis un peu sorcière, et je sais ce que pensent les gens que j’ai vus deux fois.

— Mon Dieu ! vous m’effrayez. Si vous saviez lire dans ma pensée, je ne sais si je devrais en être content ou affligé…

— Monsieur della Rebbia, continua miss Lydia en rougissant, nous ne nous connaissons que depuis quelques jours ; mais en mer, et dans les pays barbares, — vous m’excuserez, je l’espère,… — dans les pays barbares, on devient ami plus vite que dans le monde… Ainsi ne vous étonnez pas si je vous parle en amie de choses un peu bien