Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/349

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ce moment, j’étais auprès de Roger, qui s’occupait à faire couper les haubans qui retenaient encore le mât abattu. Je le sens qui me serrait le bras avec force ; je me retourne, et je le vois renversé sur le tillac et tout couvert de sang. Il venait de recevoir un coup de mitraille dans le ventre.

» Le capitaine courut à lui : « Que faire, lieutenant ? » s’écria-t-il.

— « Il faut clouer notre pavillon à ce tronçon de mât et nous faire couler. » Le capitaine le quitta aussitôt, goûtant fort peu ce conseil.

« Allons, » me dit Roger, « souviens-toi de ta promesse. »

— « Ce n’est rien, » lui dis-je, « tu peux en revenir. »

— « Jette-moi par-dessus le bord, » s’écria-t-il en jurant horriblement et me saisissant par la basque de mon habit ; « tu vois bien que je n’en puis réchapper ; jette-moi à la mer, je ne veux pas voir amener notre pavillon. »

» Deux matelots s’approchèrent de lui pour le porter à fond de cale. « À vos canons, coquins ! » s’écria-t-il avec force ; « tirez à mitraille et pointez au tillac. Et toi, si tu manques à ta parole, je te maudis, et je te tiens pour le plus lâche et le plus vil de tous les hommes ! »

» Sa blessure était certainement mortelle. Je vis le capitaine appeler un aspirant et lui donner l’ordre d’amener notre pavillon. « Donne-moi une poignée de main, » dis-je à Roger.

» Au moment même où notre pavillon fut amené… »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— « Capitaine, une baleine à bâbord ! » interrompit un enseigne accourant à nous.

— « Une baleine ? » s’écria le capitaine transporté de joie