Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/435

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adversaire, il s’arrête alors brusquement en roidissant ses jambes, et ces réactions brusques et violentes le fatiguent tellement, que, si ce manège était prolongé, il suffirait seul pour le tuer. Aussi Romero, le fameux professeur, dit-il qu’un bon matador doit tuer huit taureaux en sept coups d’épée. Un des huit meurt de fatigue et de rage.

Après plusieurs passes, quand le matador croit bien connaître son antagoniste, il se prépare à lui donner le dernier coup. Affermi sur ses jambes, il se place bien en face de lui, et l’attend, immobile, à la distance convenable. Le bras droit, armé de l’épée, est replié à la hauteur de la tête ; le gauche, étendu en avant, tient la muleta qui, touchant presque à terre, excite le taureau à baisser la tête. C’est dans ce moment que le matador lui porte le coup mortel, de toute la force de son bras, augmentée du poids de son corps et de l’impétuosité même du taureau. L’épée, longue de trois pieds, entre souvent jusqu’à la garde ; et si le coup est bien dirigé, l’homme n’a plus rien à craindre : le taureau s’arrête tout court ; le sang coule à peine ; il relève la tête ; ses jambes tremblent, et tout d’un coup il tombe comme une lourde masse. Aussitôt de tous les gradins partent des viva assourdissants ; les mouchoirs s’agitent ; les chapeaux des majos volent dans l’arène, et le héros vainqueur envoie modestement des baisemains de tous les côtés.

Autrefois, dit-on, jamais il ne se donnait plus d’une estocade ; mais tout dégénère, et maintenant il est rare qu’un taureau tombe du premier coup. Si cependant il paraît mortellement blessé, le matador ne redouble pas ; aidé des chulos, il le fait tourner en cercle en l’excitant avec les manteaux de manière à l’étourdir en peu de temps. Dès qu’il tombe, un chulo l’achève d’un coup de poignard assené sur la nuque : l’animal expire à l’instant.

On a remarqué que presque tous les taureaux ont un endroit dans le cirque auquel ils reviennent toujours. On