Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/447

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Jamais je n’oublierai la figure de cet homme. Il était très-grand et très-maigre, et paraissait âgé de trente ans. Son front était élevé, ses cheveux épais, noirs comme du jais et droits comme les crins d’une brosse. Ses yeux, grands, mais enfoncés dans sa tête, semblaient flamboyants. Il était pieds nus, habillé d’une longue robe noire sur laquelle on avait cousu à la place du cœur une croix bleue et rouge. C’est l’insigne de la confrérie des Agonisants. Le collet de sa chemise, plissé comme une fraise, tombait sur ses épaules et sa poitrine. Une corde menue, blanchâtre, qui se distinguait parfaitement sur l’étoffe noire de sa robe, faisait plusieurs fois le tour de son corps, et par des nœuds compliqués lui attachait les bras et les mains dans la position qu’on prend en priant. Entre ses mains il tenait un petit crucifix et une image de la Vierge. Son confesseur était gros, court, replet, haut en couleur, ayant l’air d’un bon homme, mais d’un homme qui depuis longtemps fait ce métier-là, et qui en a vu bien d’autres.

Derrière le condamné se tenait un homme pâle, faible et grêle, d’une physionomie douce et timide. Il avait une veste brune avec la culotte et les bas noirs. Je l’aurais pris pour un notaire ou un alguazil en négligé, s’il n’avait eu sur la tête un chapeau gris à grands bords, comme en portent les picadors aux combats de taureaux. À la vue du crucifix il ôta ce chapeau avec respect, et je remarquai alors une petite échelle en ivoire fixée sur la forme comme une cocarde. C’était l’exécuteur des hautes-œuvres.

En mettant la tête hors de la porte, le condamné, qui avait été obligé de se courber pour passer sous le guichet, se redressa de toute sa hauteur, ouvrit les yeux d’une grandeur démesurée, embrassa la foule d’un regard rapide, et respira profondément. Il me sembla qu’il humait l’air avec plaisir, comme celui qui a été longtemps renfermé