Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la voix, il s’écria : « Mes frères, joignez vos prières à celles du pauvre pécheur. » J’entendis une voix douce prononcer à côté de moi avec émotion : Amen ! Je tournai la tête, et je vis une de mes jolies Valenciennes dont les joues étaient un peu plus colorées, et qui agitait son éventail précipitamment. Elle regardait avec beaucoup d’attention du côté de la potence. Je dirigeai mes yeux de ce côté : le moine descendait l’escalier, et le condamné était suspendu en l’air, le bourreau sur ses épaules, et son valet lui tirait les pieds.


P. S. Je ne sais si votre patriotisme me pardonnera ma partialité pour l’Espagne. Puisque nous en sommes sur le chapitre des supplices, je vous dirai que si j’aime mieux les exécutions espagnoles que les nôtres, je préfère aussi de beaucoup leurs galères à celles où nous envoyons chaque année environ douze cents coquins. Remarquez que je ne parle pas des presidios d’Afrique, que je n’ai pas vus. À Tolède, à Séville, à Grenade, à Cadix, j’ai vu un grand nombre de presidiarios (galériens) qui ne m’ont pas paru trop malheureux. Ils travaillaient à faire ou à réparer des routes. Ils étaient assez mal vêtus, mais leurs physionomies n’exprimaient point ce sombre désespoir que j’ai remarqué chez nos galériens. Ils mangeaient dans de grandes marmites un puchero semblable à celui des soldats qui les gardaient, et fumaient ensuite leur cigare à l’ombre. Mais surtout ce qui m’a plu, c’est que le peuple ici ne les repousse pas comme il fait en France. La raison en est simple : en France, tout homme qui a été aux galères a volé ou fait pis ; en Espagne, au contraire, de très-honnêtes gens, à différentes époques, ont été condamnés à y passer leur vie pour n’avoir pas eu des opinions conformes à celles de leurs gouvernants. Quoique le nombre de ces victimes politiques soit infiniment petit, cela suffit pourtant pour changer l’opinion à l’égard de tous les galériens.