Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/463

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ajouter que la profession de voleur n’est point regardée généralement comme déshonorante. Voler sur les grandes routes, aux yeux de bien des gens, c’est faire de l’opposition, c’est protester contre des lois tyranniques. Or l’homme qui, n’ayant qu’un fusil, se sent assez de hardiesse pour jeter le défi à un gouvernement, c’est un héros que les hommes respectent et que les femmes admirent. Il est glorieux, certes, de pouvoir s’écrier, comme dans la vieille romance :

A todos los desafio,
Pues á nadie tengo miedo !

Un voleur commence en général par être contrebandier. Son commerce est troublé par les employés de la douane. C’est une injustice criante pour les neuf dixièmes de la population que l’on tourmente un galant homme qui vend à bon compte de meilleurs cigares que ceux du roi, qui rapporte aux femmes des soieries, des marchandises anglaises et tout le commérage de dix lieues à la ronde. Qu’un douanier vienne à tuer ou à prendre son cheval, voilà le contrebandier ruiné ; il a d’ailleurs une vengeance à exercer : il se fait voleur. — On demande ce qu’est devenu un beau garçon qu’on a remarqué quelques mois auparavant et qui était le coq de son village ? « Hélas ! » répond une femme, « on l’a obligé de se jeter dans la montagne. Ce n’est pas sa faute, pauvre garçon ! il était si doux ! Dieu le protège ! » Les bonnes âmes rendent le gouvernement responsable de tous les désordres commis par les voleurs. C’est lui, dit-on, qui pousse à bout les pauvres gens qui ne demandent qu’à rester tranquilles et à vivre de leur métier.

Le modèle du brigand espagnol, le prototype du héros de grand chemin, le Robin Hood, le Roque Guinar de notre temps, c’est le fameux Jose Maria, surnommé el Tempranito, le Matinal. C’est l’homme dont on parle le