Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’ânier resté seul, le sac à la main, croyait rêver. Les 1,500 réaux étaient bien comptés. Il savait ce que valait un serment de Jose Maria, et se rendit aussitôt chez Herrera, où il se hâta d’échanger ses réaux contre un beau mulet.

La nuit suivante Herrera est éveillé en sursaut. Deux hommes lui présentaient un poignard et une lanterne sourde à la figure. — « Allons, vite ton argent ! » — « Hélas ! mes bons seigneurs, je n’ai pas un quarto chez moi. » — « Tu mens ; tu as vendu hier un mulet 1,500 réaux que t’a payés un tel de Campillo. » Ils avaient des arguments tellement irrésistibles, que les 1,500 réaux furent bientôt donnés, ou, si l’on veut, rendus.


P. S. Jose Maria est mort depuis plusieurs années. — En 1833, à l’occasion de la prestation de serment à la jeune reine Isabelle, le roi Ferdinand accorda une amnistie générale, dont le célèbre bandit voulut bien profiter. Le gouvernement lui fit même une pension de deux réaux par jour pour qu’il se tînt tranquille. Comme cette somme n’était pas suffisante pour les besoins d’un homme qui avait beaucoup de vices élégants, il fut obligé d’accepter une place que lui offrit l’administration des diligences. Il devint escopetero, et se chargea de faire respecter les voitures qu’il avait si souvent dévalisées. Tout alla bien pendant quelque temps : ses anciens camarades le craignaient ou le ménageaient. Mais un jour quelques bandits plus résolus arrêtèrent la diligence de Séville, bien qu’elle portât Jose Maria. Du haut de l’impériale il les harangua ; et l’ascendant qu’il avait sur ses anciens complices était tel, qu’ils paraissaient disposés à se retirer sans violence, lorsque le chef des voleurs, connu sous le nom du Bohémien (el Gitano), autrefois lieutenant de Jose Maria, lui tira un coup de fusil à bout portant et le tua sur la place.

1842.
Fin.