Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/54

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goëlands et des fous, à la grande surprise des passants qui ne comprenaient pas qu’on perdît sa poudre pour un pareil gibier.

Ils suivaient le chemin qui mène à la chapelle des Grecs, d’où l’on a la plus belle vue de la baie ; mais ils n’y faisaient aucune attention.

— Miss Lydia… dit Orso après un silence assez long pour être devenu embarrassant ; franchement, que pensez-vous de ma sœur ?

— Elle me plaît beaucoup, répondit miss Nevil. Plus que vous, ajouta-t-elle en souriant, car elle est vraiment Corse, et vous êtes un sauvage trop civilisé.

— Trop civilisé !… Eh bien ! malgré moi, je me sens redevenir sauvage depuis que j’ai mis le pied dans cette île. Mille affreuses pensées m’agitent, me tourmentent,… et j’avais besoin de causer un peu avec vous avant de m’enfoncer dans mon désert.

— Il faut avoir du courage, monsieur ; voyez la résignation de votre sœur, elle vous donne l’exemple.

— Ah ! détrompez-vous. Ne croyez pas à sa résignation. Elle ne m’a pas dit un seul mot encore, mais dans chacun de ses regards j’ai lu ce qu’elle attend de moi.

— Que veut-elle de vous, enfin ?

— Oh ! rien… seulement que j’essaye si le fusil de monsieur votre père est aussi bon pour l’homme que pour la perdrix.

— Quelle idée ! Et vous pouvez supposer cela ! quand vous venez d’avouer qu’elle ne vous a encore rien dit. Mais c’est affreux de votre part.

— Si elle ne pensait pas à la vengeance, elle m’aurait tout d’abord parlé de notre père ; elle n’en a rien fait. Elle aurait prononcé le nom de ceux qu’elle regarde… à tort, je le sais, comme ses meurtriers. Eh bien ! non, pas un mot. C’est que, voyez-vous, nous autres Corses, nous sommes une race rusée. Ma sœur comprend qu’elle ne me