Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/80

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hommes mal vêtus mais bien armés, se levèrent derrière une cépée à quelques pas d’Orso. On eût dit qu’ils s’étaient avancés en rampant comme des couleuvres au milieu du fourré de cystes et de myrtes qui couvrait le terrain.

— Oh ! Ors’ Anton’, soyez le bienvenu, dit le plus âgé de ces deux hommes. Eh quoi ! vous ne me reconnaissez pas ?

— Non, dit Orso le regardant fixement.

— C’est drôle comme une barbe et un bonnet pointu vous changent un homme ! Allons, mon lieutenant, regardez bien. Avez-vous donc oublié les anciens de Waterloo ? Vous ne vous souvenez plus de Brando Savelli, qui a déchiré plus d’une cartouche à côté de vous dans ce jour de malheur ?

— Quoi ! c’est toi ? dit Orso. Et tu as déserté en 1816 !

— Comme vous dites, mon lieutenant. Dame, le service ennuie, et puis j’avais un compte à régler dans ce pays-ci. Ha ! ha ! Chili, tu es une brave fille. Sers-nous vite, car nous avons faim. Vous n’avez pas d’idée, mon lieutenant, comme on a d’appétit dans le mâquis. Qu’est-ce qui nous envoie cela, mademoiselle Colomba, ou le maire ?

— Non, mon oncle, c’est la meunière qui m’a donné cela pour vous et une couverture pour maman.

— Qu’est-ce qu’elle me veut ?

— Elle dit que ses Lucquois qu’elle a pris pour défricher lui demandent maintenant trente-cinq sous et les châtaignes, à cause de la fièvre qui est dans le bas de Pietranera.

— Les fainéants !… Je verrai. — Sans façon, mon lieutenant, voulez-vous partager notre dîner ? Nous avons fait de plus mauvais repas ensemble du temps de notre pauvre compatriote qu’on a réformé.

— Grand merci. — On m’a réformé aussi, moi.

— Oui, je l’ai entendu dire ; mais vous n’en avez pas