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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

figure qu’il y a eu quelque dénonciation contre moi. Car, enfin, pourquoi nous enverrait-on un inspecteur général ? Écoutez donc, Ivan Kouzmitch, est-ce que vous ne pourriez pas, pour notre avantage à tous,… Toutes les lettres qui passeraient par votre bureau, au départ et à l’arrivée… est-ce que vous ne pourriez pas les décacheter un peu, voyez-vous, et les lire, pour savoir s’il n’y a pas de dénonciations, ou seulement de la correspondance. S’il n’y a rien, on peut les recacheter ; d’ailleurs cela ne fait rien, on peut donner les lettres décachetées.

Le Directeur.

Connu, connu… Vous ne m’apprendrez pas mon métier. Je n’en fais jamais d’autres, non par mesure de précaution, mais par pure curiosité. Mais, je vous avouerai que je meurs d’envie de savoir tout ce qu’il y a de nouveau. Je vous donne ma parole qu’il n’y a pas de lecture plus intéressante… Il y a des lettres qui sont amusantes… On écrit des choses… Quelquefois c’est si bien tourné… c’est mieux que dans les gazettes de Moscou.

Le Gouverneur.

Eh bien ! dites-moi, n’avez-vous rien lu au sujet d’un certain fonctionnaire de Pétersbourg ?

Le Directeur.

Non. De Pétersbourg, rien du tout ; mais d’un fonctionnaire de Kostroma et de Saratof, il en est fort question. Je suis fâché que vous ne lisiez pas les lettres. Il y a des morceaux magnifiques. Tenez, il n’y a pas longtemps, un lieutenant écrivait à un de ses amis. Il faisait la description d’un bal… Sans badinage… c’était charmant, charmant : « Je vis, mon cher, disait-il, je vis dans les cieux. Quantité de demoiselles ; la musique retentit, on s’élance… » Comme cela… une des-