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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

appris quantité d’anecdotes qu’il racontait de la manière la plus agréable. Dans la société anglaise, où tout le monde a un sobriquet, on l’appelait le Bear, l’ours. Je n’ai jamais su l’origine de ce surnom, qu’il ne répudiait nullement, mais qui contrastait fort avec son caractère enjoué et ses manières gracieuses et polies. Il aimait le monde et y était recherché. Peu d’hommes ont eu au même degré le don de plaire au premier abord ; à quelque personne qu’il s’adressât, à un pair d’Angleterre ou à un paysan, c’était avec un air de cordialité et de bonne humeur auquel il était difficile de résister. Il était particulièrement bien venu auprès des femmes ; il savait leur parler et les écouter. Les mal mariées, les demoiselles avec des inclinations contrariées, savaient qu’elles trouveraient en lui un conseiller indulgent, sensé et d’une discrétion à toute épreuve. Il aimait la jeunesse, excusait les folies des étourdis ; mais il était sévère pour les Catons en herbe et les raillait impitoyablement. On ne pouvait l’accuser d’être laudator temporis acti ; cependant il blâmait la mode du cigare et regrettait le temps des causeries d’hommes à table après le dessert et le départ des dames. C’était là, disait-il, qu’il avait appris tout ce qu’il savait. M. Ellice