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Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/319

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ALEXANDRE POUCHKINE.

nière. Je m’attends à une apparition, et déjà je commence à partager la terreur du coursier. Du sommet du tumulus sort la tête d’un géant endormi. Cela rappelle trop les pâtés de perdreaux montrant la tête hors de la croûte. Pour le réveiller, Rousslan lui porte la pointe de sa lance dans les narines ; le géant éternue, le steppe tremble… mais c’en est fait du merveilleux. Qui a peur d’un géant qui éternue ? Cette fantasmagorie ne vaut guère mieux que les tigres de carton que les Chinois plaçaient sur leurs forteresses pour empêcher nos gens de donner l’assaut.

Plus tard Pouchkine trouva le style qui convient aux récits merveilleux, et quelques-unes de ses ballades sont des modèles en ce genre ; on s’aperçoit qu’il a étudié et surpris les procédés des conteurs populaires. À leur exemple, il devient crédule, il se fait enfant ; mais il oblige son lecteur à se transformer avec lui. C’est dans les récits de cette nature que j’admire surtout sa sobriété et l’art qu’il met à choisir les traits les plus frappants en négligeant maint détail qui nuirait à l’illusion. En effet, un peu d’obscurité est toujours nécessaire dans une histoire de revenants. Remarquons encore qu’il y a dans toutes un trait qui frappe