rais mieux supposer qu’en représentant ainsi le prince de Danemark, il pensait à l’acteur qui devait en jouer le rôle, s’il ne me semblait encore plus probable que le poëte avait devant lui un fantôme de son imagination, qui se dessinait « aux yeux de l’esprit (in the mind’s eye) » nettement et d’une manière complète. Des souvenirs, des associations d’idées dont on ne peut se rendre compte, obsèdent involontairement celui qui a l’habitude d’étudier la nature. Dans ses fictions, il embrasse d’un seul coup d’œil une foule de détails unis par quelque lien mystérieux, qu’il sent, mais qu’il ne pourrait peut-être pas expliquer. Remarquons encore que la ressemblance, que la vie dans un portrait tient souvent à un détail. Je me souviens d’avoir entendu professer cette théorie à sir Thomas Lawrence, assurément un des plus grands peintres de portraits de ce siècle. Il disait : « Choisissez un trait dans la figure de votre modèle ; copiez-le fidèlement, servilement même ; vous pouvez ensuite embellir tous les autres. Vous aurez fait un portrait ressemblant et le modèle sera satisfait. »
Peintre de la plus belle aristocratie de l’Europe, Lawrence avait grand soin de choisir le trait à copier servilement. M. I. Tourguénef n’est pas plus