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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/11

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d’autres à une inclination pour le joven galan[1] du Grand Théâtre ; d’autres enfin veulent que la pauvreté ait décidé Clara à se faire comédienne.

Quelque temps avant l’insurrection des troupes cantonnées dans l’île de Léon, doña Clara avait recueilli l’héritage de son oncle, et sa maison était le rendez-vous de tous les beaux-esprits et de tous les constitutionnels de Cadiz. Sa réputation d’exaltée pensa lui coûter cher lors du massacre du 10 mars. Un des leales de Fernando Sétimo, la rencontrant dans la rue, avait levé son sabre pour lui fendre la tête, lorsqu’un de ses camarades l’arrêta en lui disant : « Ne vois-tu pas, imbécile, que c’est la Clarita, qui nous a fait tant rire dans la saynète de la Gitana ? — Oui, dit l’autre, mais c’est une ennemie de Dieu et du roi. — N’importe, répondit son camarade, je veux la voir encore jouer la Gitana. » Et il la sauva ainsi.

Les jours suivants, Clara parut sur la scène avec la cocarde nationale, et chanta des hymnes patriotiques avec tant de grâce qu’elle fit tourner la tête aux serviles eux-mêmes. Tous les officiers du corps de Quiroga en avaient fait la dame de leurs pensées.

Deux jeunes officiers du bataillon d’Amérique se prirent de querelle à son sujet. Elle avait donné à l’un d’eux une cocarde de rubans verts faite de ses propres mains, et l’autre, disait-on, avait voulu l’enlever à son camarade. Les deux rivaux sortirent pour se battre. Clara l’apprit, et se rendit aussitôt sur le champ de bataille. On n’a jamais su de quel moyen elle s’était servie pour calmer leur fureur. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle rentra le soir dans Cadiz, donnant le bras aux deux militaires réconciliés, qu’elle les mena souper chez elle, et que jamais querelle ne vint depuis troubler leur amitié.

Sa réputation littéraire commença par la petite pièce intitulée : Une femme est un diable. Le public ignorait complètement le sujet de la comédie, et l’on peut juger de la surprise d’un parterre espagnol qui voyait pour la première fois sur les planches des inquisiteurs en grand costume. Cette bluette eut un succès fou ; c’étaient des écoliers qui voyaient fesser leur régent.

Cependant les cagots qui commençaient à se rallier crièrent au scandale. Trois ou quatre duchesses ou marquises, désespérées de voir leurs salons désertés pour celui de doña Clara, obligèrent leurs maris à faire des plaintes au gouvernement. Mais Clara avait aussi des protections puissantes. La comédie ne fut point défendue, et l’on se contenta d’y ajouter, pour la morale, le prologue que nous donnons en tête de la traduction. Clara se proposait de faire

  1. Jeune premier.