Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/186

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on ne souffre plus... Mais voilà de ces choses qu'il faut faire etdont on ne doit pas parler... Je supprimerai cette phrase en recopiant ma lettre, et alors... (avecdépit) oui, alors elle sera plus plate et plus froide qu'auparavant. Ah ! que ne lit-il dans mon âme!... La lui donnerai-je ?... Si je lui parlais ?... mais il m'interromprait aussitôt... (Elle arrache unepetite branche.) Si cette branche a des feuilles en nombre impair, je la lui remettrai... onze, douze,treize, quatorze... pair... Mais lui parler, cela est impossible; —il faut la remettre absolument...Voyons; ouvrons ce livre. La première page à gauche : j'aime mieux souffrir, et souffrir toutessortes de tourments, que de consentir à ce que tu veux. Folle que je suis ! il faut que je sois biensotte pour avoir recours au sort dans une affaire où il y va de ma vie... Oui, je la lui donnerai,cette lettre; au moins elle dit : Je vous aime, et ma bouche ne pourrait pas dire ce mot-là.
RITA, chantant dans la coulisse : « Le Français amoureux pleure comme un enfant; l'Andalou,plus philosophe, dit : Je t'aime; veux-tu de moi? sinon, bonjour ! »

SCÈNE II


DONAMARIA, RITA
DONAMARIA : Voilà l'oracle qui me dicte ce que j'ai à faire. Oui, je lui donnerai ma lettre. (À.Rita, qui entre.) Tu vas balayer là-dedans ?
RITA : Oui, mademoiselle. Je vais un peu épousseter toutes ces fioles, et ouvrir les fenêtres pourdonner de l'air.
Elle entre, et dona Maria s'approche de la fenêtre, que Rita ouvre.
DONAMARIA, avec un sourire forcé : Prends garde de casser cette bouteille dont tu m'as parlé !
RITA : Jésus ! Marie ! Je n'ose même pas en approcher. Quoique pour mourir on dise qu'il faut enavaler, je ne serais pas tranquille si j'avais tant seulement touché le verre.
DONAMARIA : Je ne puis croire que ce poison soit aussi violent que tu le dis.