Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/188

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DONAMARIA : Allons donc ! qui peut penser à se tuer?
RITA : Je sais bien que ce n'est pas vous, mademoiselle, qui êtes si sage et si instruite, que vousfaites honte à toutes vos aînées; mais j'en connais, de ces cerveaux brûlés... Tenez, je sais bienque vous ne le lui redirez pas; mais je n'oserais pas montrer cette bouteille-là à dona Francisca,votre amie.
DONAMARIA : Francisca !
RITA : Elle lit toujours des romans anglais; elle se monte la tête. Une fois, le croiriez-vous ? ellem'a dit que si elle aimait quelqu'un, et si son amoureux mourait malheureusement, elle se tuerait.
DONAMARIA, avec un sourire amer : Tu peux être tranquille.
RITA : Moi, je lui ai dit : Mademoiselle, ne dites pas de ces choses-là; je ne suis qu'une pauvreservante, et je ne puis parler comme un curé; mais je sais bien que se détruire, c'est offenser lebon Dieu. N'est-ce pas, mademoiselle ?
DONAMARIA : « Homicide point ne seras. » (Plus bas.) Mais il n'est pas dit...
RITA : C'est le diable qui donne de ces idées-là. J'ai connu une fille de Guatemala, qui,lorsqu'elle eut ses dix-sept à dix-huit ans, l'envie de se tuer lui vint, mais bien forte; et elle m'a ditque, quand elle regardait dans la rue par une fenêtre élevée, le diable lui disait de se précipiter.Pourtant, avec le temps, elle s'est guérie.
DONAMARIA, vivement : Par quel moyen ? Comment a-t-elle fait ?
RITA : Dame ! elle priait le bon Dieu bien souvent de la délivrer, et elle s'en est allée enpèlerinage; et puis est venu un garçon muletier, un beau brun, qui lui a fait la cour : elle s'estmariée, et maintenant elle pense à se tuer comme moi à me faire pendre.
DONAMARIA, à part : Hélas !
RITA : Au moins, mademoiselle, ne dites pas à dona Francisca ce que je vous ai dit d'elle.
DONAMARIA : N'aie pas peur... Rita, tu vas faire ma chambre; tu verras au chevet de mon litun petit chapelet en grenats et en or de Mexique; prends-le, je te le donne.