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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/20

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j’en aurais pour six semaines avant d’oser me montrer… mais dans l’île de Fionie, dans ce barathrum, on n’est pas si délicat. (Il s’assied.) Ouf ! Ils me faisaient presque peur avec leurs longues moustaches et leurs yeux noirs et farouches. C’est qu’ils ne paraissent pas nous aimer beaucoup, nous autres Français… et ces diables d’Espagnols sont tellement ignorants !… Ils ne peuvent comprendre comment notre grand monarque ne veut que leur bonheur en leur donnant pour roi son auguste frère… Ils trouvent l’île un peu froide… Parbleu ! et moi aussi. — Je paye bien cher l’honneur que rapporte une mission comme la mienne… Morbleu ! quand je me lançai dans la diplomatie, je m’imaginais qu’on allait m’envoyer d’abord à Rome ou à Naples, dans un pays de bonne compagnie enfin… — Je vais solliciter le ministre… dans la conversation j’ai le malheur de dire que je sais l’espagnol. — « Vous savez l’espagnol ? me dit-il. » — Me voilà ravi. — En rentrant chez moi, je trouve des passe-ports et des instructions ; — c’est pour Madrid, à ce que je crois… — Pas du tout… pour la division espagnole de La Romana dans l’île de Fionie !… l’île de Fionie ! Bon Dieu ! qu’ils doivent être étonnés à Paris de me savoir dans l’île de Fionie !… Avec cela, on me fait trotter de çà, de là, comme si j’étais un militaire. Encore si j’étais en Danemarck avec l’armée du prince 7, je trouverais des Français à qui parler. — Mais, hélas ! il faut que je reste ici avec un tas d’Espagnols… des Danois, des Hanovriens, des Allemands… tant qu’on en veut. Tous ces braves gens-là s’aiment comme chiens et chats. Il faut les espionner, les amuser, leur parler le langage de la raison, de la nature et de la civilisation, comme mes instructions me le prescrivent… C’est, ma foi, difficile… Ils ne veulent pas se mettre dans la tête que les Anglais avec leur sucre sont leurs ennemis mortels. Ils voudraient prendre du café des îles et cent autres choses ; mais, puisque nous nous en passons, ils peuvent bien, eux aussi, s’en passer. — Mon Dieu ! quand prendrons-nous l’Angleterre ? Ce sont les Anglais qui me font rester dans cette maudite île avec ces baragouineurs d’Espagnols. — Ah ! l’air était si humide aujourd’hui !… bien heureux si je n’attrape pas une bonne