Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toutes les personnes qui étaient malheureuses enménage... Je n'en voyais pas une qui eût trouvé le bonheur en se mariant,.. Cependant j'évitais deme trouver seule avec Fray Eugenio; je ne lui parlais plus; je ne le regardais qu'à la dérobée, et jevoyais qu'il devenait triste, ses yeux étaient humides et suppliants quand il me regardait... Nousétions bien à plaindre tous deux, alors j'entendis conter que Fray Eugenio n'avait pas eu devocation pour entrer dans les ordres, et que des circonstances malheureuses l'avaient obligé àprendre ce parti. Tu ne saurais croire, chère amie, quelle fut ma douleur quand l'idée me vintqu'un désespoir amoureux l'avait fait renoncer au monde. Je ne pouvais supporter l'idée que FrayEugenio aimât une autre femme. J'étais à peine sûre que je l'aimais, et déjà j'étais jalouse... OMariquita, que la jalousie est une cruelle chose!... Puisses-tu ne jamais l'éprouver, cette vilainepassion ! Que de nuits j'ai passées sans dormir, baignant mon oreiller de mes larmes, et mordantmes draps avec rage !... Enfin je sus la véritable cause qui l'a déterminé à prendre ce vilain habit.
DONAMARIA : C'est encore l'amour ?
DONAFRANCISCA : Sa mère était très malade... les médecins l'avaient condamnée... C'étaitune femme très dévote... Eugenio avait alors dix-sept ans au plus. Sa mère mourante lui dit : « Situ consentais à te vouer à Dieu, je suis sûre que tu obtiendrais du ciel la guérison de ta mère. » IIn'hésita pas, et, bien qu'il étudiât pour être médecin, il abandonna tout, se fit prêtre, et sa mèreguérit.
DONAMARIA, à demi-voix : C'est une âme généreuse, après tout.
DONAFRANCISCA : Tout ce que j'apprenais de lui me le faisait aimer chaque jour davantage.J'étais sûre qu'il m'aimait; toutefois il se faisait un scrupule de m'avouer sa passion, à cause deson âge et de sa profession. Je résolus donc de lui parler la première, et de l'obliger à se déclarer.Souvent alors j'entamais une conversation détournée, afin d'amener de bien loin le mot amour; etquand venait le moment de prononcer ce mot magique, je manquais de courage, et je n'osais.Enfin, un soir, par un beau clair