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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/415

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étant restée sans effet par la vertu de doña Catalina, Carvajal, dont le caractère colérique ne pouvait longtemps se plier à la ruse, résolut d’employer la force contre cette innocente créature. D’abord, il se débarrassa de sa femme par le poison, suivant l’opinion généralement reçue ; puis, s’étant enfermé seul avec sa fille, à laquelle il avait fait prendre un breuvage magique (lequel cependant ne put avoir d’effet sur une chrétienne), il essaya de lui faire violence. Catalina, n’ayant plus d’autre ressource, saisit la dague de Carvajal et lui en donna un tel coup que le scélérat mourut presque aussitôt. Quelques instants après arriva le capitaine don Alonso de Pimentel, avec des Indiens et des Espagnols, pour l’enlever par force de la maison de son père. Don Alonso l’avait connue à Cumana, et l’aimait tendrement ; mais, ayant appris ce qui s’était passé, il l’abandonna sur-le-champ et revint en Espagne, où l’on m’a dit qu’il se fit moine. Quant à doña Catalina, elle prit la fuite, et l’on n’a jamais su ce qu’elle était devenue. Le juge don Pablo Gomez, qui poursuivit cette affaire, fit de grands efforts pour la retrouver, mais inutilement. Peut-être se sauva-t-elle chez les Indiens Tamanaques, peut-être fut-elle dévorée par les jaguars en punition du meurtre qu’elle avait commis. On remarqua que le cadavre de don José fut déterré et mangé par les jaguars, la nuit même qui suivit son enterrement. »

(Voir l’histoire du procès de Béatrix Cenci.)

Je n’aurais jamais pensé à faire un drame de cette horrible histoire sans les deux lettres qu’on va lire, et que je reçus presque en même temps.

PREMIÈRE LETTRE.
Monsieur,

Je m’appelle Diego Rodriguez de Castaneda y Palacios ; je commande la corvette colombienne la Régénération de l’Amérique, en croisière sur les côtes nord-ouest de l’Espagne. Depuis près d’une année nous avons fait d’assez belles prises, ce qui n’empêche pas que quelquefois nous ne nous ennuyions diablement. En effet, vous vous imaginerez, facilement l’espèce de supplice que ressentent des gens condamnés à naviguer toujours en vue de terre sans pouvoir jamais aborder.

J’avais lu que le capitaine Parry, au milieu des glaces polaires, avait amusé son équipage au moyen de comédies jouées par ses officiers. Je voulus l’imiter. Nous avions à bord quelques volumes de théâtre ; nous nous mîmes à les lire tous les soirs dans la