Aller au contenu

Page:Méry - La guerre du Nizam, Hachette, 1859.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au départ de la malle-poste. Je fus attristé en songeant à l’énorme quantité de fautes d’orthographe que cette voiture allait distribuer aux cinq parties du monde, et je me promis bien de ne jamais envoyer une de mes pages en si mauvaise compagnie. La lettre tue, dit la Sagesse, et la Sagesse a raison. Celui qui a une bonne nouvelle à vous annoncer la garde pour lui ; la mauvaise ne manque jamais. Si j’étais ministre, je voudrais me donner un spectacle admirable. Je convoquerais tous les citoyens de Londres qui attendent des lettres, sur le vaste plateau d’Hampstead, à dix heures précises du matin, et je leur ferais la distribution par tous mes facteurs. On entendrait des soupirs, des colères et des grincements de dents sur toute la ligne. Ce serait une répétition générale du drame de Josaphat. La chambre des Communes supprimerait la poste le lendemain, par humanité. »

Le colonel Douglas riait de ce rire faux qui agite les épaules, contracte automatiquement le bas du visage et laisse la tristesse dans les yeux.

« Eh bien ! moi, dit Arinda, je n’en ai reçu qu’une seule dans ma vie, ce matin, mais elle me comble de joie. Notre intendant m’écrit de Roudjah qu’il a reçu mon piano ! et quel piano ! Un chef-d’œuvre de Broadwood ; ce fameux artiste anglais qui a ajouté une octave à l’instrument !… C’est au colonel Douglas, dit-elle en s’inclinant avec le plus gracieux sourire, que je dois ce cadeau superbe, et je lui en fais mes remerciements. »

Une pâleur mortelle couvrit le visage de Douglas. Edward ébranla la table en la frappant de sa main.

« Un piano de Broadwood ! dit-il ; un piano à Nerbudda ! dans les entrailles du Bengale ! Ô Brahma ! et les philanthropes envoient des bibles ! Qu’ils envoient des pianos, ces braves gens ! Le monde doit être civi-