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Page:Méry - La guerre du Nizam, Hachette, 1859.djvu/41

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Un départ est une espèce de mort ; il doit en avoir les privilèges ; on se pardonne le passé avant de se dire adieu.

— Madame, je ne me pardonnerai jamais d’avoir écouté tranquillement cette justification d’un tort imaginaire.

— Donnez-moi le bras un instant, sir Edward ; je veux que le monde sache que nous nous quittons bons amis… Sérieusement, sir Edward, vous partez avant le lever du soleil ?… Vous me regardez d’un air… Oh ! ne craignez rien, je ne vais pas recommencer ma scène de drame… Tantôt j’ai cédé à je ne sais quel accès de colère stupide… Vous partez donc ?

— Madame, chaque minute perdue ici coûte la vie à vingt soldats aux Indes.

— Vous exagérez l’importance du colonel Douglas. Il n’y a pas d’homme indispensable en ce monde ; pas même vous, sir Edward. Alors, si le colonel Douglas n’existait pas, l’Inde anglaise s’écroulerait ? Cela n’est soutenable que dans les romans.

— Mais, madame, le colonel connaît cette guerre du Nizam dans tous ses ténébreux secrets ; il…

— Ah ! brisons là, sir Edward ; les discussions ne servent qu’à ne pas se convaincre mutuellement. Parlons d’autre chose… Quand nous reverrons-nous à Smyrne, sir Edward ?… Vous cherchez votre réponse dans les étoiles ?…

— Madame, mon destin est de voir et de ne jamais revoir.

— Eh ! mon Dieu, changez donc votre destin. Voir est un plaisir, revoir est un bonheur. Pourquoi sacrifiez-vous de gaieté de cœur la plus douce de ces deux choses ?

— Je crains le bonheur, madame, je le crains comme un ennemi inconnu.