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CHAPITRE VI

nous faire passer la frontière avec armes et bagages plutôt que de demander des instructions à Tiflis.

L’excès d’amabilité de la police envers M. Üverna nous avait permis d’introduire nos fusils sans aucun papier ; l’excès de défiance envers M. G(h)yvernatte nous permit de les faire sortir de même ! Adieu Russie, beau pays de liberté !

L’Araxe, comme je l’ai déjà dit, forme frontière entre la Russie et la Perse. La rivière a un cours rapide, et ses eaux sont fort sombres. Un bac fait le service de la rive russe à la rive persane, car ici le fleuve n’est pas guéable. On trouve, paraît-il, un gué en amont, entre le poste de Djoulfa et Eski-Djoulfa. Le bac ne dessert que le bras principal du fleuve ; il reste ensuite à franchir un espace d’une centaine de mètres, toujours marécageux, parfois inondé ; ce petit trajet se fait à poil sur de misérables rosses, ou à dos d’homme.

Eski-Djoulfa, située à 5 verstes Nord-Ouest du poste-frontière, fut, comme je l’ai dit, détruite par Shah-Abbas ; on dit ses ruines assez intéressantes. Le pont d’Eski-Djoulfa était célèbre ; les Romains, dans leurs pointes hardies vers ces régions lointaines, avaient jeté un pont sur l’Araxe. C’était dans les premières années de la période impériale ; tout se courbait devant Rome et semblait annoncer une ère de conquêtes indéfinies. Aussi Virgile chantait-il :

Incedunt victæ longo ordine gentes,
Indomitique Dahæ et pontem indignatus Araxes.

(Aeneid, viii, 729.)
Et Properce :

Potabis galea fessus Araxis aquam.

(iii, II, 8).

Les récits populaires placent, avec assez de raison je crois, ce pont à Eski-Djoulfa, et en attribuent la construction à Auguste. Depuis lors, il a vu tous les grands envahisseurs asiatiques ; Timour le passa avec ses hordes, et Abbas le Grand le détruisit.