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BITLIS — SAÏRD — LE BOGHTAN

Survienne une mauvaise récolte, la famine s’ensuit, puisqu’on n’a ni argent pour payer un blé étranger, ni produits à échanger contre lui. Au demeurant, avec les mauvaises communications l’importation d’une quantité considérable de céréales serait chose très difficile.

Le Boghtân souffrit d’une famine horrible pendant les années 1879 et 1880. La population fut décimée : dans les déplorables conditions économiques où elle se trouvait, elle eût eu besoin pour pouvoir se relever, d’un régime très doux.

Au lieu de cela, le Boghtân doit en ce moment un arriéré d’impôts de 19 millions de piastres (environ 4 180 000 francs) et cependant il a payé trois fois la valeur totale de l’impôt ! L’explication de cet affreux état de choses est bien simple. Supposons qu’un contribuable (le cas serait le même si au lieu d’un particulier nous prenions un village), doive une dîme de 100 piastres. Il les apporte au collecteur. Celui-ci lui fait un reçu à compte de 40 piastres et en empoche personnellement 60. Le contribuable n’ose protester, car l’employé le renverrait avec son argent, quitte à le faire ensuite poursuivre pour refus de payement d’impôt, ce qui veut dire prison et confiscation. Il se retire donc avec son reçu ; quelques jours plus tard on lui fait sommation d’avoir à payer les 60 piastres restantes, pour lesquelles il n’aura de nouveau qu’un reçu de 30 piastres ; la sinistre comédie continuera jusqu’à ce qu’il ait enfin son reçu de 100 piastres. Il l’aura donc payé de 2 à 300 !

Encore suppose-t-on dans le cas présent que le contribuable a réellement en main le numéraire suffisant. Mais le numéraire étant rare, souvent quand vient le moment de payer, le contribuable est à court d’argent ; on fait marcher le gendarme : c’est une nouvelle source de dépenses, car pour gagner du temps, le contribuable « graisse la patte » à celui-ci.

Dans le Boghtân ruiné, grâce à ces coulages éhontés, les impôts ne rentraient plus ; les gendarmes ne suffisaient plus ; on a envoyé la troupe ; on a saisi ustensiles, meubles, troupeaux et on