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DE SAÏRD À DJÉZIREH

aux contours étranges dans lesquels l’œil croit distinguer les ruines d’une ancienne cité[1].

Vers deux heures et demie nos guides nous font gagner le bord de la rivière où un misérable bateau attend les voyageurs ; car c’est ici qu’il faut franchir le Boghtân-Sou. La rivière assez large et profonde, a fort peu de gués. Xénophon, qui dût la passer avec ses Dix mille, tout en combattant contre les sauvages montagnards, eût grand’peine à tirer son armée de ce mauvais passage. Ces classiques souvenirs remontent nos courages et nous entamons philosophiquement l’ennuyeuse besogne ; il faut d’abord décharger les bêtes et faire passer le bagage, puis, amener nos chevaux qui n’ont nullement le pied marin, à entrer dans le bac. Or ceci est une entreprise des plus difficiles : le fond de la barque se relève aux extrémités, et reste au moins à 60 centimètres au-dessus du sol ; il n’est pas question de passerelle pour y faire monter doucement les chevaux ; nos bêtes doivent donc de bonne grâce — tel est du moins le programme — prendre leur élan et sauter dans la barque. Mais aucune ne veut tenter l’expérience ; toutes s’effrayent, se cabrent et ruent ; il faut enfin, à force de patience, amener doucement la bête tout près de la barque, lui poser un pied sur le rebord de celle-ci ; à ce moment, user subitement a posteriori de tous les arguments frappants, pendant qu’a priori un homme, monté dans la barque, tire sur le licou de toutes ses forces. Au troisième ou quatrième essai infructueux la bête se décide à sauter. Répétez l’opération pour douze chevaux, vous arriverez à une jolie somme d’agacement. Pour augmenter l’agrément, il bruine légèrement. Enfin, après quatre voyages, hommes et bêtes ont passé et il ne s’agit plus que de recharger le bagage. Je dois rendre aux passeurs le témoignage qu’en dépit

  1. Ces assises de poudingues se retrouvent aussi sur les rives du Tigre, jusqu’à Djézireh et au delà. Elles dominent les rives du fleuve de 20 à 30 mètres ; ces roches étant de désagrégation facile, les cailloux roulés que cimentait la gangue se sont en maints endroits détachés de celle-ci, pour former sur les bords du Tigre de véritables plages de galets, où la marche devient fort difficile.