chir la Porte de Chaldée par l’obscurité et amarrer le kellek à une lieue environ en aval.
La soirée d’ailleurs avait un délicieux charme poétique ; au bord du fleuve les feux des nomades projetaient leurs lueurs indécises sur les falaises du Djebel-Hamrîn dont les sommets se détachaient en noir sur un ciel étincelant d’étoiles ; les kellekdjis accompagnaient leur manœuvre d’un rythme mélancolique et doux, dont la répétition uniforme, loin de lasser, finissait par porter à une rêverie en parfaite harmonie avec la nature[1].
Le zabtié avait veillé toute la nuit par crainte des Arabes.
Ces intrépides maraudeurs emploient pour piller les kelleks un procédé fort ingénieux ; lorsque la nuit est bien noire un Arabe, entrant dans le fleuve à une certaine distance en amont du kellek, enfourche une paire d’outres, et se courbant le plus possible vers la surface de l’eau, nage en silence vers le radeau ; au moment de l’atteindre, il plonge doucement et, passant sous le kellek, crève à l’aide d’un poignard le plus d’outres possibles, puis se sauve.
Le kellek commence à sombrer ; s’il est en marche, il est forcé d’aborder pour réparer ses avaries ; s’il est amarré, il ne peut reprendre le fleuve avant plusieurs heures ; il est à la merci des Arabes qui accourent alors au pillage.
À deux heures du matin, un coup de feu nous donne l’alarme — ce n’est rien ; le zabtié a manqué un beau sanglier qui venait à l’abreuvoir.
Vers le matin, le temps se met définitivement au beau. Au départ de Môsoul on nous avait prévenus qu’à partir de Tékrit,
- ↑ Voici ce rythme, pour autant que je puis me le rappeler.
La syllabe ân doit être traînée et presqu’entièrement chantée du nez. Il n’est pas question de mesure proprement dite.