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UNE FRANÇAISE AU PÔLE NORD

par une jalousie forcenée, quelqu’un de ces sentiments étrangement bas et vils qui peuvent naître dans l’âme humaine. Car une grande intelligence n’est point par le fait même la garantie d’un grand cœur et d’un beau caractère.

— Il faudra le surveiller tout de même, opina M. de Kéralio.

— Je me charge de ce soin », ajouta paisiblement Guerbraz.

On se sépara sur cette parole, en se donnant rendez-vous pour l’étude des côtes et l’examen des cartes.

À vrai dire, celles-ci étaient tout ce qu’il y a de plus incomplet, et l’expédition, au point où elle se trouvait, était en face de l’inconnu. Ce que l’on savait, on ne le savait que par suppositions. La côte du Groenland oriental passe pour très accore, à partir du 78e degré. Les sondages pratiqués au Spitzberg ont fourni des profondeurs considérables, et l’on a pu constater qu’aucune terre ne s’interpose entre le 7e degré de longitude orientale et le 20e de longitude occidentale.

L’hypothèse d’une mer très vaste et conséquemment plus soumise à l’influence des courants chauds et des grandes marées était tout à fait plausible. Présentement, du haut des crêtes de la côte, les explorateurs l’apercevaient entièrement libre, et leur champ d’investigation n’accusait sur la terre aucune de ces anfractuosités qui, sur le canal Kennedy ou le canal Robeson, transforment les fiords de l’ouest en glaciers déversoirs d’icebergs. Tout permettait donc de croire à la possibilité d’un voyage maritime au printemps suivant.

Cependant l’été s’épuisait rapidement, et les signes avant coureurs de l’hiver se manifestaient avec plus de précision. C’était, tout les matins et tous les soirs, la formation, à la surface de l’eau, d’une couche de glace mince et friable, de celle que les Canadiens appellent frazi. En outre, la nuit, la