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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

On alluma les feux. Sous la lueur verte de tribord, le second paraissait livide.

À l’avant, les matelots honoraient par des chants appropriés la largesse de Krühl. Fernand distribuait les parts avec son boujaron.

Quand tout le monde fut servi, Fernand porta son gobelet à la hauteur de ses yeux et but à la santé des « frangins ».

On ne pouvait guère imaginer une physionomie plus franche que celle de ce nègre. Elle ne cachait pas la qualité de l’individu qui s’affirmait à première vue comme un scélérat de la plus basse espèce. Il avait vécu très longtemps à Paris. Ses nombreux avatars l’avaient même conduit sur le ring, en qualité de soigneur d’un boxeur de couleur qui connut en son temps quelque célébrité.

Fernand, de son long séjour dans la capitale où il avait vécu en ruffian, gardait un accent un peu grasseyant dont il était fier. Il connaissait également l’argot parisien dans ses formes les plus modernes et considérait cette connaissance comme l’expression la plus évidente de sa supériorité.

Il avait déjà su prendre de l’ascendant sur ses camarades qu’il dominait nettement par les seules ressources de son esprit éblouissant et de sa conversation imagée.

― Aux frangins ! dit-il en buvant son rhum.

Les Suédois que l’alcool enthousiasmait,