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LE SOLEIL DE CARACAS

nous ne pouvions guère nous payer un Bougainville ou un Jean-Bart.

― Farceur, jubila Krühl, dont le ravissement rajeunissait la figure.

Sans se préoccuper de Samuel Eliasar, il acheva de s’habiller, prit une ceinture très solide en peau de daim et la boucla sur sa peau, par dessous sa chemise.

Il tapota d’une main spirituelle les flancs rebondis de la ceinture et jeta un regard malicieux dans la direction du « docteur ».

― Hé ! Hé ! fit-il, il y a là un petit trésor qui, pour n’avoir pas été acquis par des efforts malhonnêtes, ne permettrait pas moins à celui qui le rencontrerait sur sa route de vivre à la manière de ces nababs, vous savez, ces fameux nababs, bouh, bouh, peuh !

Samuel Eliasar sourit et devint rouge. Il se serait giflé avec plaisir pour cette émotion stupide que Krühl, occupé à nouer sa cravate, ne remarqua d’ailleurs pas.

Devant l’entrée du panneau, on entendit la voix de Gornedouin :

― Monsieur Krühl, monsieur le docteur, le canot est armé.

Dans le port, la sirène d’un gros charbonnier s’époumonnait avec une indignation mal dissimulée ; une cloche piqua l’heure à bord d’un bâtiment et, de la ville dont la rumeur lointaine pénétrait par le hublot entr’ouvert, des cloches