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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

sale niaquoué de Shanghaï ou de l’Intérieur de l’Empire. Vous allez m’emmener assez loin, où vous voudrez, et vous me cacherez dans un pays où je pourrai manger du veau rôti et courir après les petites femmes roses et potelées. Je vous paierai en travail, ce que vous voudrez… Dix ans de ma vie je travaillerai pour vous… Il faut partir, messieurs, le Chinois peut arriver sur la mer… dans son petit vapeur peint en gris clair…

L’homme fondit en larmes. Il pleurait, pleurait silencieusement et les larmes ruisselaient le long de ses joues et de son nez. Elles glissaient sur sa barbe inculte.

― Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Quelle est cette île ? Tout le monde l’interrogeait.

L’homme se moucha bruyamment dans ses doigts et répondit d’une toute petite voix blanche, larmoyante, enfantine : « J’ai tant souffert, messieurs, tant souffert moralement… avec les deux autres… Chaque jour, j’attendais des voiles sur la mer ou la fumée noire du petit vapeur peint en gris.

― Et ce Chinois ?… remettez-vous mon vieux.

L’homme se laissa glisser sur le sol. Eliasar versa du rhum dans un gobelet et le lui fit boire.

― Quoi qu’il arrive, vous êtes sauvé, lui dit Krühl, je vous emmènerai avec moi, sur mon bateau qui nous attend là-bas près de la grève.