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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

est partie l’année dernière, je crois… on ne sait plus comment on vit, l’année dernière, ma foi, avec le Chinois justement. Ce Chinois qui est notre maître à tous, dont personne ne sait le nom et qui débarque dans son île sans crier gare, avec ses bourreaux, vêtus de soie noire, mais avec une grande simplicité. À bord du vapeur gris tout l’équipage est chinois. C’est, monsieur, un enfer, paraît-il, je dis ce que l’on m’a dit, car pour moi, je n’ai jamais mis les pieds sur ce bâtiment. Il y a des moments où je perds la mémoire, mais je me rappelle ce que disait l’Annamite qui fume l’opium… vous le verrez.

― Nous l’avons vu, dit Krühl, il dormait quand nous sommes entrés dans la grotte.

― Ah, voyez-vous. Il dormait ! Et l’autre ?

― Le nègre ?

― Mon Dieu, oui, vous l’avez vu aussi ? C’est un pauvre homme et bien à plaindre. L’année dernière il possédait encore ses deux mains… C’est le plus ancien de nous trois… Autrefois, paraît-il, il y a quinze années, par exemple, on pouvait compter cent à deux cents têtes sur l’île… Et puis, il y a eu des ennuis, paraît-il toujours… alors le Chinois en a pendu et il disait que c’était idiot de détruire des sujets sans aucun profit pour son institution.

― Reposez-vous, mon ami, dit Krühl avec douceur. Il est évident que vous avez beaucoup