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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

mais en ayant soin de plonger mes deux pieds dans l’eau. Je composais mon épitaphe et mon oraison funèbre quand vous m’êtes apparus en sauveurs.

Le Russe débitait son discours d’une voix douce et chantante. Il ne regardait personne en face et ses maigres épaules se serraient craintivement.

― Vous dites, interrogea Krühl, que cette île appartient à un Chinois, propriétaire également d’un petit vapeur ? Avez-vous des renseignements sur cet homme ? Que sont devenus vos compagnons de captivité ? Dans quel but vous a-t-il déposé sur cette île perdue ?

Le Russe indiqua sa bouche pleine de biscuits. Dans sa précipitation il s’étouffa même. Il fallut le secouer par les épaules et le bourrer de claques sur les omoplates pour lui rendre l’usage de la parole.

― Je suis très fatigué, messieurs, l’émotion que je viens d’éprouver m’a coupé les bras et les jambes. Je suis dans un état de faiblesse extraordinaire. Quand vous connaîtrez ma vie sur cette terre de désolation et la situation que l’avenir me réservait, vous m’excuserez pour bien des petites choses qui peuvent me faire paraître ridicule et plat. Autrefois j’étais un bel homme avec un teint vif, un gros ventre et des moustaches courtes taillées en brosse à dents. Tenez, encore aujourd’hui : il y a la