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C’EST LE VENT DE LA MER

Eliasar ramassa un caillou.

― Laissez-le, laissez cet imbécile. Courons… Ils bondirent en avant, sautèrent par-dessus le cadavre gonflé du nègre. Dans un éblouissement, Eliasar aperçut des lèvres énormes, tuméfiées, obscènes qui découvraient des dents de bête.

― Courons ! Courons ! répétait Krühl, dont la voix larmoyait d’angoisse.

― Voici le chemin, s’écria Eliasar, prenons à gauche, toujours tout droit… là, la falaise !…

― La mer ! hurla Krühl.

Ils atteignirent, pantelants, le sommet de la falaise qui surplombait la grève.

La mer s’étalait à leurs pieds, infinie et calme. À un mille de la côte, l’Ange-du-Nord, toute sa voilure déployée, prenait le large.

― Mon Dieu ! mon Dieu !… Ils sont partis avec le canot ! gémit Krühl en s’agenouillant et en s’arrachant les cheveux.

Samuel Eliasar, debout, la bouche figée dans un sourire raide, regardait s’éloigner le navire, précieusement détaillé sur le bleu délicat d’un ciel limpide. On pouvait distinguer à l’arrière la silhouette ridicule du capitaine Heresa, nonchalamment appuyé sur l’épaule de Chita, dont le jupon rouge flamboyait. À la corne du mât flottait le pavillon noir.

― Écoutez, dit Eliasar.

Krühl tendit l’oreille.