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UNE LUEUR

sager Eliasar comme un mécène futur, ou tout au moins, un amateur distingué capable de lui commander, le cas échéant, deux ou trois toiles et quelques croquis.

― Ah, j’ai vu un coin merveilleux, en revenant de Riec… Une couleur, une délicatesse dans les gris… Si le temps se maintient, demain je prendrai ma boîte et j’irai brosser une pochade rapidement. C’est merveilleux.

― Ce pays est admirable, déclara Eliasar qui depuis l’aventure de la lande nourrissait une fureur folle contre soi-même, son excessive nervosité, la Marie du Faouët, et son sauveur Krühl dont la seule vue l’exaspérait.

Et naturellement, le brave Krühl ne manquait jamais une occasion de raconter la noyade et particulièrement le plongeon d’Eliasar.

Le malheureux, ivre de rage muette, devait sourire et rouler des yeux pleins de reconnaissance dans la direction du narrateur.

Or, la reconnaissance n’était pas la vertu la plus marquante du caractère de Samuel Eliasar. À la rigueur il se sentait capable de remercier Krühl quotidiennement, mais il suait de colère à la pensée qu’il lui fallait entendre une fois par jour les boniments ridicules de Bébé-Salé qui pour une fois ouvrait la bouche, sur « l’acrobate », le plongeon, etc.

Tout le monde connaissait l’histoire. Eliasar aussi. Aussi quand il entendait Boutron raconter