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UNE LUEUR

Eliasar n’était pas lâche, et savait accepter la lutte dans n’importe quelle condition. L’aventure de la lande n’était qu’une fâcheuse erreur de ses nerfs, devant un peu de mystère. Mais il était sûr de soi-même et gardait intacte sa confiance dans son énergie qui savait s’adapter immédiatement aux réalités les plus tragiques.

― On ne tue pas pour rien, pensait-il. Pourquoi aurais-je tué cette femme ?

C’était l’effort disproportionné avec la nullité du but qui l’avait désarmé dans cette histoire. Naturellement, Eliasar se gardait bien de faire part de ses réflexions à Krühl. Il préférait passer pour « une petite fille nerveuse », dans l’esprit des robustes compagnons de la Côte qui prenaient franchement en amitié la faiblesse spécieuse de ce greluchon montmartrois.

Une quinzaine de jours depuis son arrivée à Moëlan ne s’était pas écoulée que Samuel Eliasar avait déjà évalué l’honnête Krühl comme on évalue un terrain de rapport.

― On n’obtient rien d’un individu en cherchant à exploiter ses vertus, disait Eliasar, tout au plus une pièce de cinquante centimes après un excellent dîner et dans des conditions climatériques favorables. Il faut, si l’on veut obtenir des résultats financiers en rapport avec la valeur du sujet, s’adresser à ses vices, ou à son vice. C’est un procédé qui amène la réussite, car,