Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/154

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d’hommes. Il ignore ce que c’est et, décrivant des circuits autour de mon corps, il voit que j’ai des yeux, des bras, des jambes, que mes mouvements ont un air divin, que je suis d’une stature colossale. Alors il se dit en lui-même : « Ce monsieur est sans doute l’inventeur des papillons. » Cette idée le domine et l’épouvante. Mais la peur, qui est suggestive, lui insinue que le meilleur moyen de plaire à son créateur est de le baiser sur le front, et il s’exécute. Quand je le chasse, il va sur la vitre, aperçoit de là le portrait de mon père, et il n’est pas impossible qu’il devine cette demi-vérité, à savoir que c’est là le père de l’inventeur des papillons. Et il vole vers lui pour lui demander miséricorde.

Et voilà qu’un coup de serviette sert de dénouement à l’aventure. Ni l’immensité de l’azur, ni l’allégresse des fleurs, ni la pompe des feuilles vertes, n’ont tenu contre une serviette de toilette, deux palmes de fil écru. Voyez comme il est bon d’être supérieur aux papillons. Car s’il eût été bleu ou couleur d’orange, sa vie n’eût guère été plus en sûreté. Non certes. J’aurais fort bien pu le piquer d’une épingle, pour le régal de mes yeux. Cette dernière pens-