Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/30

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augure, et je crois avoir prouvé que ce fut ma découverte qui me tua. Il y a des démonstrations moins lucides et non moins triomphantes.

Il n’était pas impossible cependant que je devinsse centenaire et que mon nom figurât dans les journaux sur la liste des macrobiens. J’avais une bonne santé, j’étais robuste. Supposez qu’au lieu de poser les bases d’une invention pharmaceutique, j’eusse réuni les éléments d’une institution politique ou d’une réforme religieuse. Le courant d’air, supérieur aux spéculations humaines, me surprenait de la même manière, et tout s’en allait à vau-l’eau. Telle est la destinée humaine.

Ce fut sur cette réflexion que je pris congé de la femme, je ne dirai pas la plus sage, mais assurément la plus belle de toutes celles de son temps, de l’anonyme du premier chapitre, celle dont l’imagination, semblable aux cigognes de l’Illyssus… Elle avait alors cinquante-quatre ans ; c’était une ruine, une imposante ruine. Figurez-vous, lecteur, que nous nous étions aimés, elle et moi, bien des années auparavant, et qu’un jour, au cours de ma maladie, je la vis paraître à la porte de ma chambre.